La Phrase
Ce
texte a été repris dans plusieurs ouvrages en France,
Belgique, Canada et Suisse. Citons notamment la Grammaire critique du
français (Marc Wilmet, Editions Duculot), Cinquante
modèles de résumés de texte (Geneviève
Clerc, collection Marabout, 32), La Phrase (Collection Les modules du Français, Université de Montréal), Écrire et Éditer(Information
et Défense des auteurs, Vitry, France), "Connaître, Faire, Changer",
Hélène Mitsika (Athènes), "La lucarne des écrivains" (Paris,2014)
La
phrase naît pour exprimer l'idée, se donne aussitôt
pour roi un sujet, tyran autoritaire qui voudra sans cesse tout ramener
à lui, puis cherche soigneusement ses verbes, comme autant de
capitaines pour conduire ses propositions, ou comme des pieux
fichés dans une terre en friche, vigoureux repères
chargés de cadencer l'articulation de la pensée, de la
diriger, de l'infléchir, de la faire rebondir quand elle
s'épuise, sélectionne ses compléments (les directs
marchent seuls, les indirects tiennent la main à des
prépositions), organise autour ses attributs, groupes de mots
déjà rivaux, dont certains dépendent du sujet,
d'autres de l'objet, formés de noms, d'adjectifs, de participes,
que sais-je encore, tous aussi envahissants les uns que les autres,
qu'il faut sans cesse surveiller, trier, éliminer, coupes
douloureuses qui allègent et écartent la menace
obstinée de ces parasites suceurs de sève (je ne parle
pas des adverbes qui s'accrochent lourdement, inévitablement,
lamentablement!), purge nécessaire qui l'autorise à
repartir de plus belle, à installer la hiérarchie de ses
propositions, principales, subordonnées, indépendantes,
comme des bataillons bien organisés, ayant chacun sa mission, sa
guerre à gagner, purge salvatrice qui lui donne assez
d'élan pour se prolonger encore, ivre de ses ressources, qui lui
permet de s'étirer comme une plante luxuriante, poussant ses
rejets, ses circonvolutions, ses digressions, faisant des pauses,
ouvrant des parenthèses, folle de ses structures qu'elle se
plaît à imaginer croissant à l'infini, se moquant
des traités de journalisme («dix-huit mots maximum par
phrase», ah, ah! quelle farce!) et soudain meurt d'un seul coup,
en pleine apothéose, frappée en traître par le
point final.
Christian Vellas
« L'hippopotame rêvait de violettes »