Tableau de
Salvé
©Photo Christian Vellas
Gloire aux médiocres
Aujourd'hui,
faisons l'éloge de la médiocrité. Qui peut mener loin. L'homme médiocre
ne fait pas peur et on le laisse grimper. Ainsi, le 13e président des
Etats-Unis, Millard Fillmore, était paraît-il d'une remarquable
médiocrité. Si remarquable, qu'une société s'est constituée après sa
mort pour la rappeler, année après année. Pour cela, un prix est
décerné en janvier à Colorado Springs. Il récompense l'initiative la
plus incroyablement médiocre des douze mois écoulés.
Plongeons dans les archives et choisissons, au hasard, l'année 1991.
Cette année-là, les jurés ont hésité entre deux finalistes. C'est une
historienne qui l'a emporté. Elle a réussi à faire exhumer le corps du
12e président des Etats-Unis, Zakarie Taylor, en affirmant qu'il avait
été empoisonné en 1850. Les analyses confirmèrent que ce pauvre Zakarie
avait été dérangé pour rien, et qu'il était mort médiocrement du
choléra, après 16 mois de pouvoir.
Certes, la dame qui a voué sa vie à une cause aussi médiocre (avec
thèse et livres à l'appui), mérite bien le prix. Mais, personnellement,
j'aurais opté pour l'autre concurrent. Il s'agit du républicain Steve
Acquafresca, qui a déposé un projet de loi concernant "l'illégalité des
remarques désobligeantes à l'égard des légumes". Si on l'avait suivi,
personne n'aurait plus eu le droit de dire en public qu'une tomate est
pourrie, qu'un navet est trop pâle, ou qu'une courge est flasque. Ces
affirmations portant atteinte à leur moral. L'amende aurait menacé le
méprisant qui aurait ri d'un poireau rabougri, d'une salade flétrie,
d'une patate anémiée. Malheur à celui qui se serait moqué d'une asperge
molle!
L'initiative de ce Steve Eaufraîche n'a pas été jugé assez médiocre et
je le regrette. Ce qui prouve qui n'est pas médiocre qui veut. Pour ma
part, je suis en train d'essayer d'écrire la chronique la plus médiocre
de l'année et désespère d'y réussir. D'autres feront mieux, c'est sûr.
Comme l'a bien souligné la société "Millard Fillmore" dans ses
considérants, la médiocrité est dure à atteindre. Hélas! Rappelons que
1991 n'a pas été une année médiocre. Elle a voulu être glorieuse et
historique: guerre du Golfe, de Yougoslavie, écroulement de l'URSS...
Préférons les années médiocres, paisibles et sans éclats.
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