Il descendait vers le port,
chaque soir, portant son violoncelle. On aurait dit un gros hanneton.
Rond. C'était un monsieur distingué: il semblait porter l'habit, le
neud papillon, tout en étant habillé comme les pêcheurs. C'est un
artiste, un concertiste, un professeur de musique à la retraite,
disaient ceux-ci. Un fada...
Tant bien que mal, il calait son énorme instrument au milieu
d'une barque bleue. Lançait le moteur. Le tap-tap du dièsel se cognait
aux digues. Les pêcheurs prenaient à droite, vers les hauts-fonds, face
aux lumières de la ville. Lui s'en allait à gauche, vers l'eau profonde
des falaises.
Dans le velours luisant des vagues, il jetait l'ancre. Puis jouait du violoncelle.
Il jouait pour les habitants de la mer. Pour les muges qui
tournaient autour de lui, pour les orphies phosphorescentes, pour les
dorades qui remontaient de leurs secrets abîmes. Parfois, des dauphins
arrivaient de la haute mer, l'entouraient de leurs rondes. Ils venaient
au concert deux ou trois soirs de suite, puis repartaient vers la
quiétude de l'immensité.
Le vieil homme racontait aux pêcheurs que les poissons
l'écoutaient, que les dauphins chantaient. Ils aimaient les plaintes
graves de Bach, Mendelssohn, le jazz. Les dorades préfèraient Mozart.
Mais tous s'excitaient sur les improvisations qu'il lançait, en
s'adaptant à la réceptivité de son public. Les tons aigus, à la limite
du supportable pour l'oreille humaine, les agitaient particulièrement.
C'est difficile à expliquer, s'excusait-il, mais je sais que
certaines notes les indisposent, que certains rythmes les grisent...
J'essaie de répondre à leurs attentes, à leurs humeurs. Pour
communiquer avec eux, non pas par des idées, mais par des états d'âme.
Les pêcheurs rigolaient: demain on vient avec toi... On appâtera avec
du Ravel!
Le musicien souriait: les poissons sont mes amis. Mes invités.
Nous faisons de la musique ensemble. Demain vous prendrez à droite,
comme d'habitude. Et moi à gauche...
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