© Photomontage Christian Vellas



                                                                                                                                                                                                                                                        

Les dorades préfèrent Mozart


 
Il descendait vers le port, chaque soir, portant son violoncelle. On aurait dit un gros hanneton. Rond. C'était un monsieur distingué: il semblait porter l'habit, le neud papillon, tout en étant habillé comme les pêcheurs. C'est un artiste, un concertiste, un professeur de musique à la retraite, disaient ceux-ci. Un fada...
Tant bien que mal, il calait son énorme instrument au milieu d'une barque bleue. Lançait le moteur. Le tap-tap du dièsel se cognait aux digues. Les pêcheurs prenaient à droite, vers les hauts-fonds, face aux lumières de la ville. Lui s'en allait à gauche, vers l'eau profonde des falaises.
Dans le velours luisant des vagues, il jetait l'ancre. Puis jouait du violoncelle.
Il jouait pour les habitants de la mer. Pour les muges qui tournaient autour de lui, pour les orphies phosphorescentes, pour les dorades qui remontaient de leurs secrets abîmes. Parfois, des dauphins arrivaient de la haute mer, l'entouraient de leurs rondes. Ils venaient au concert deux ou trois soirs de suite, puis repartaient vers la quiétude de l'immensité.
Le vieil homme racontait aux pêcheurs que les poissons l'écoutaient, que les dauphins chantaient. Ils aimaient les plaintes graves de Bach, Mendelssohn, le jazz. Les dorades préfèraient Mozart. Mais tous s'excitaient sur les improvisations qu'il lançait, en s'adaptant à la réceptivité de son public. Les tons aigus, à la limite du supportable pour l'oreille humaine, les agitaient particulièrement.
C'est difficile à expliquer, s'excusait-il, mais je sais que certaines notes les indisposent, que certains rythmes les grisent... J'essaie de répondre à leurs attentes, à leurs humeurs. Pour communiquer avec eux, non pas par des idées, mais par des états d'âme. Les pêcheurs rigolaient: demain on vient avec toi... On appâtera avec du Ravel!
 Le musicien souriait: les poissons sont mes amis. Mes invités. Nous faisons de la musique ensemble. Demain vous prendrez à droite, comme d'habitude. Et moi à gauche...


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