La Phrase
Ce texte a été repris
dans plusieurs ouvrages en France, Belgique, Canada et Suisse. Citons
notamment la Grammaire critique du français (Marc Wilmet,
Editions Duculot), Cinquante modèles de résumés de
texte (Geneviève Clerc, collection Marabout, 32),
La Phrase (Collection Les modules du
Français, Université de Montréal), Écrire et Éditer
(Information et Défense des auteurs,
Vitry, France).
La phrase naît pour exprimer
l'idée, se donne aussitôt pour roi un sujet, tyran
autoritaire qui voudra sans cesse tout ramener à lui, puis
cherche soigneusement ses verbes, comme autant de capitaines pour
conduire ses propositions, ou comme des pieux fichés dans une
terre en friche, vigoureux repères chargés de cadencer
l'articulation de la pensée, de la diriger, de
l'infléchir, de la faire rebondir quand elle s'épuise,
sélectionne ses compléments (les directs marchent seuls,
les indirects tiennent la main à des prépositions),
organise autour ses attributs, groupes de mots déjà
rivaux, dont certains dépendent du sujet, d'autres de l'objet,
formés de noms, d'adjectifs, de participes, que sais-je encore,
tous aussi envahissants les uns que les autres, qu'il faut sans cesse
surveiller, trier, éliminer, coupes douloureuses qui
allègent et écartent la menace obstinée de ces
parasites suceurs de sève (je ne parle pas des adverbes qui
s'accrochent lourdement, inévitablement, lamentablement!), purge
nécessaire qui l'autorise à repartir de plus belle,
à installer la hiérarchie de ses propositions,
principales, subordonnées, indépendantes, comme des
bataillons bien organisés, ayant chacun sa mission, sa guerre
à gagner, purge salvatrice qui lui donne assez d'élan
pour se prolonger encore, ivre de ses ressources, qui lui permet de
s'étirer comme une plante luxuriante, poussant ses rejets, ses
circonvolutions, ses digressions, faisant des pauses, ouvrant des
parenthèses, folle de ses structures qu'elle se plaît
à imaginer croissant à l'infini, se moquant des
traités de journalisme («dix-huit mots maximum par
phrase», ah, ah! quelle farce!) et soudain meurt d'un seul coup,
en pleine apothéose, frappée en traître par le
point final.
Christian Vellas
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